mardi 15 décembre 2009

Edson, premier chapitre

Comme promis il y a quelque temps, voici le premier chapitre d'Edson, le roman de Bill MORRISSEY que Zanzibar Editions publie le 10 janvier prochain (Traduction de Luc Baranger). Pour céouter Morrissey lire ce passage en anglais, cliquez ici. Le livre sera en vente chez tous les libraires, mais aussi au CinéVigo de Gennevilliers le samedi 23 janvier et à la Pomme d'Eve le dimanche 24. Des showcases sont prévus à la FNAC rue de Rennes et au Megastore des Champs Elysées.
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LA PREMIÈRE TEMPÊTE DE NEIGE de la saison s’immisça dans le New Hampshire à la manière d’un nuage de poussière, qui s’évanouit sitôt qu’il a effleuré le sol, comme s’il s’excusait du dérangement. Loin d’être dupes, un œil braqué vers le ciel, les habitants se retroussèrent les manches pour rentrer la dernière corde de bois dans le garage ou dans le cellier, calfeutrer les fenêtres et vérifier l’état de la souffleuse à neige, avec l’espoir qu’elle tiendrait bien encore un an si on ne lui menait pas la vie trop dure. Au crépuscule, le vent tomba et les volutes devinrent de gros flocons. La poudreuse s’agrippa si fermement aux dernières feuilles et aux aiguilles des conifères que les branches finirent par ployer. On était entré dans l’hiver. Jouant avec l’accélérateur pour éviter le tête-à-queue à sa vieille Chevrolet, Henry Corvine maintenait ses roues dans les ornières de la route à double voie qui louvoyait jusqu’à Edson. Un tronçon rectiligne lui offrant l’occasion de voir si le véhicule conservait sa trajectoire, il commit l’erreur de lâcher le volant. Il leva aussitôt le pied, reprit les commandes et remit son imposante voiture dans les traces. À l’entrée de la ville, ses phares balayèrent la statue de la Sainte Vierge juchée sur un tertre coincé entre la rivière et la route. Dos à la ville, paumes offertes de chaque côté du corps, les épaules éternellement haussées, la Madone accueillait chaque nouvel arrivant dans une pose qui semblait vouloir dire : « Bienvenue à Edson. Mais désolée, je n’y suis pour rien. »

Henry franchit le pont, là où le cours d’eau se perd en zigzag sous la route secondaire qui elle-même se métamorphose en Grand-rue. Que le chasse-neige ne soit pas encore passé le surprit, car la ville s’enorgueillissait de disposer du service de voirie le plus efficace de toute la côte du New Hampshire. Son regard s’attarda sur les mastodontes jaunes couverts de poudreuse. En les découvrant ainsi, immobiles et l’air hébété sur le parking municipal, on pensait aux bâtiments de guerre après l’attaque de Pearl Harbour. Henry rétrograda en seconde alors que la route, serpentant dans une descente entre les immeubles du centre-ville, se transformait en un tapis de neige durcie. D’un autre âge, crasseux, les longs bâtiments asymétriques, gris et rougeâtres, de la Tanner Shoe Company paraissaient tenir la neige à distance. Parallèles à la Grand-rue qui longeait la rivière, leur multitude de minuscules fenêtres aux vitres noircies dominaient les magasins, les fastfoods et les échoppes. Henry se laissa aller en roue libre et s’arrêta devant le seul magasin ouvert le dimanche soir, la fruiterie Martello, qui faisait également agence immobilière. Il lui fallait des cigarettes, de la bière, du lait et peut-être deux ou trois autres trucs dont il se souviendrait quand il aurait le nez dessus. Les lumières aux couleurs de l’Italie de l’enseigne de chez Martello, ajoutées à la neige tombante, donnaient au centre-ville un air de Noël quelque peu sordide. Henry descendit de la Chevrolet sans couper le moteur. Le magasin Martello était long et étroit comme un wagon de chemin de fer. S’y empilait un bric-à-brac de boîtes de bière et de conserves, de cuissardes de pêcheur, de plats préparés, de magazines, de collants pour femme, de cassettes vidéo, de cartouches de cigarettes, de munitions de chasse, de fruits frais, de chemises à carreaux, de charcuterie sous cellophane, de casse-croûte et de tubes d’aspirine. Henry tapa les semelles de ses bottes de chasse pour en faire tomber la neige avant de se frayer un chemin entre les magazines qui jonchaient le sol graisseux.

L’armoire frigorifique à bière occupait entièrement le mur du fond et le tiers d’un autre. Henry adorait respirer l’odeur de ce magasin, car elle lui rappelait celle des camps de vacances d’été. Il attrapa un pack de six bouteilles de Miller, puis gagna le rayon frais où il prit une brique de lait et une barre de fromage Monterey Jack. Il y ajouta un pain, un paquet de saucisses fumées et un filet d’oranges. Il vérifia la date de péremption du lait et s’avança vers la caisse.

– Ajoute deux paquets de cigarettes, s’il te plaît, dit-il à Deb, seize ans, la cadette des filles Martello. Vautrée sur l’édition dominicale du Globe de Boston, la tête étayée par les avant-bras, le menton de la jeune fille cherchait à s’enfoncer dans la base de son cou, comme elle essayait de lire quelque chose au pied de la page sans modifier sa position. Dès qu’elle reconnut Henry, elle tendit une main vers l’étagère située au-dessus d’elle. Inconscience de la répétitivité de ses tâches, Deb attrapa un paquet de Merit et un paquet de Kool Milds, qu’elle déposa près du pack de bière. Elle se redressa et leva enfin les yeux sur son client, deux perles bleu ciel, de la couleur d’un papier peint resté trop longtemps exposé au soleil. Ils balayèrent le visage d’Henry d’une oreille à l’autre à plusieurs reprises avant de se poser sur l’étagère à journaux qui se trouvait derrière lui. – Ce sera tout ? demanda Deb.

– Ce sera tout.

jeudi 3 décembre 2009

Bill Morrissey de retour à Paris!

A l'occasion de la sortie de son roman Edson chez Zanzibar Editions, Bill Morrissey jouera deux soirs au CineVigo de Gennevilliers le samedi 23 janvier et à La Pomme d'Eve le dimanche 24 à 19 heures! Plus d'informations bientôt!

EDSON EST LE NOM de la ville où se déroule l'action du roman. C'est la ville natale de Henry Corvine, le héros de l'histoire, un célibataire trentenaire qui revient dans les lieux de sa jeunesse après avoir bourlingué une dizaine d'années sur des navires marchands de pêche hauturière. En retrouvant ses anciennes relations, amis et amours abandonnés, Corvine va de surprises en déceptions : les chansons qu'il écrivait, et pour lesquelles on lui prédisait le succès, sont devenues des classiques chantées par d'autres voix que la sienne, les femmes qu'il a aimées sont devenues les épouses d'autres hommes. Les quelques-unes qui lui sont restées fidèles le poussent à enregistrer de nouveaux titres. Mais lui, qui n'a pas sorti sa guitare de son étui depuis plus de dix ans, doute de son talent.


Alors que la petite cité se délite, entre alcool, cigarettes, mornes soirées et chômage – la seule usine du comté vient de fermer ses portes – Henry Corvine s'interroge sur le courage et l'abnégation, le destin et la volonté, la création et l'acceptation sans condition, tous sentiments qui l'animent lors de son retour au pays natal et dont il sait qu'ils orienteront de manière irrémédiable la dernière moitié de son existence.